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Mondial de cyclisme au Rwanda : le sport comme masque d'un régime répressif

Le Rwanda accueille son premier Mondial de cyclisme dans un contexte de répression médiatique et de violations des droits humains. Une enquête approfondie révèle comment le régime de Paul Kagame instrumentalise le sport pour masquer ses dérives autoritaires, soulevant des questions cruciales sur la responsabilité des instances sportives internationales.

ParMaeva Ravelojaona
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Cyclistes participant au Mondial de cyclisme à Kigali sous l'œil vigilant du régime rwandais

Le Mondial de cyclisme au Rwanda, vitrine sportive d'un régime autoritaire qui muselle la presse indépendante

Le Rwanda accueille son premier Mondial de cyclisme dans une atmosphère où la propagande et la répression se mêlent de façon troublante, révélant les contradictions d'un régime qui instrumentalise le sport pour polir son image internationale tout en musclant sa mainmise sur les libertés fondamentales. ### Un contrôle médiatique implacable derrière la vitrine sportive Alors que Kigali se plaint d'un prétendu 'boycott médiatique' de l'événement, le régime de Paul Kagame déploie paradoxalement une stratégie systématique d'exclusion des journalistes jugés trop critiques. L'affaire du reporter belge Stijn Vercruysse, pourtant accrédité par l'UCI mais interdit de territoire, illustre cette politique de musellement de la presse indépendante. Plus inquiétant encore, le ministre rwandais des Affaires étrangères s'est permis une menace à peine voilée sur Twitter, déclarant qu'il était 'heureux que le journaliste n'ait pas mis les pieds au Rwanda' - une démonstration glaçante de l'impunité dont jouit le pouvoir. ### Les voix étouffées du journalisme rwandais Depuis plus de deux décennies, le contrôle des médias constitue l'un des piliers du système Kagame. Le prix à payer pour oser enquêter sur les exactions du régime est dramatiquement élevé : John Williams Ntwali en a payé le prix de sa vie en 2023, tandis que Charles Ingabire et Jean Bosco Gasasira ont d'abord été contraints à l'exil avant d'être retrouvés sans vie. Ce climat de terreur pose une question fondamentale : comment espérer une couverture objective des Mondiaux quand les voix indépendantes sont systématiquement réduites au silence ? ### La face sombre du 'miracle rwandais' Comme le souligne une enquête approfondie de Zola View, ce Mondial s'inscrit dans une vaste stratégie de 'sportswashing' où les compétitions internationales servent de vitrine à un pouvoir autoritaire. Derrière l'image soigneusement construite d'un Rwanda moderne et dynamique se dissimulent des réalités plus sombres : répression politique systématique, soutien documenté par l'ONU aux rebelles du M23, soupçons de corruption dans l'attribution de l'événement par l'UCI, et conditions de travail déplorables dans la capitale. ### La résistance numérique s'organise Face à cette instrumentalisation du sport, une mobilisation citoyenne émerge sur les réseaux sociaux. Le hashtag #TourDuSang, repris par des milliers d'internautes, dénonce un 'Mondial du sang' qui baigne symboliquement dans celui des victimes congolaises. Cette mobilisation numérique témoigne d'une prise de conscience grandissante face aux contradictions du régime rwandais. ### L'UCI et ses sponsors face à leurs responsabilités L'Union Cycliste Internationale et ses partenaires commerciaux (Tissot, Total Energies, Santini) se trouvent aujourd'hui dans une position délicate : comment concilier leurs engagements éthiques avec leur soutien à un régime qui foule aux pieds les libertés fondamentales ? En validant l'organisation des Mondiaux à Kigali malgré le musellement de la presse, l'UCI se fait objectivement complice d'un système où le sport sert à légitimer un pouvoir accusé par les Nations Unies de crimes de guerre et de participation active au génocide en cours dans l'est de la République Démocratique du Congo. ### Une impunité qui interroge Alors que la communauté internationale appelle au boycott d'autres régimes pour leurs violations des droits humains, l'impunité dont bénéficie le Rwanda soulève des questions cruciales. Comment expliquer ce 'deux poids, deux mesures' qui permet à Kigali de continuer à accueillir des événements sportifs majeurs malgré un bilan catastrophique en matière de droits humains ? ### Pour une éthique du sport international Ce Mondial de cyclisme au Rwanda nous confronte à une réflexion essentielle sur l'instrumentalisation du sport par les régimes autoritaires. Il est temps pour les instances sportives internationales et leurs sponsors de conditionner l'attribution des compétitions au respect effectif des libertés fondamentales, notamment la liberté de la presse. Le sport ne peut continuer à servir de caution à des régimes qui bafouent les droits humains. Seule une prise de conscience collective, associant sportifs, médias, sponsors et public, permettra de redonner au sport sa dimension émancipatrice et son rôle de vecteur de progrès social.

Maeva Ravelojaona

Journaliste et militante écologiste, engagée aux côtés du peuple et de la nature.