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Bitcoin à Madagascar : Entre pénurie mondiale et justice numérique
Dans une interview exclusive, l'expert Rakoto Andrianaivo analyse la pénurie mondiale de Bitcoin sous l'angle de la justice sociale et des réalités malgaches. Une réflexion profonde sur les alternatives possibles, enracinées dans les valeurs traditionnelles de partage et de solidarité.
ParMaeva Ravelojaona
Publié le
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Des villageois malgaches découvrant les outils de finance numérique lors d'un atelier communautaire
Interview exclusive avec Rakoto Andrianaivo, expert en économie numérique et militant pour la justice sociale numérique à Madagascar
Q: Une pénurie mondiale de Bitcoin se profile sur les plateformes d'échange. Quelles sont les implications pour Madagascar et les pays du Sud ?
R: Ce que nous observons actuellement est révélateur des inégalités structurelles du système financier mondial. Environ 114 000 bitcoins, d'une valeur dépassant 14 milliards de dollars, ont quitté les plateformes d'échange ces deux dernières semaines. C'est plus que le PIB annuel de certaines régions de notre île. Cette concentration massive de richesse numérique entre les mains d'une élite mondiale pose question.
Q: Pouvez-vous nous expliquer concrètement ce qui se passe ?
R: Les grands détenteurs, principalement issus des pays du Nord, retirent massivement leurs bitcoins des plateformes d'échange pour les stocker dans des portefeuilles personnels. Les réserves sur les exchanges sont tombées à 2,45 millions de bitcoins, du jamais vu depuis 7 ans. C'est comme si les riches propriétaires terriens retiraient leurs terres du marché, rendant l'accès encore plus difficile pour les petits agriculteurs.
Q: Quelles sont les causes profondes de ce phénomène ?
R: Plusieurs facteurs s'entremêlent, révélant les contradictions du système :
1. Une logique d'accumulation capitaliste : Les grands détenteurs, voyant le bitcoin dépasser les 125 000 dollars, adoptent une stratégie de thésaurisation qui rappelle l'accaparement des terres.
2. La méfiance envers les institutions : Certains craignent la régulation ou la faillite des plateformes. C'est paradoxal car ce sont souvent les mêmes qui s'opposent à toute régulation protégeant les plus vulnérables.
3. L'arrivée des institutions financières traditionnelles : Wall Street et ses ETF bitcoin spot représentent une nouvelle forme de colonisation numérique.
Q: Quelles sont les conséquences pour les communautés locales à Madagascar ?
R: Cette situation reflète et amplifie les inégalités existantes :
- L'accès au bitcoin devient plus difficile pour nos communautés, déjà marginalisées dans l'économie numérique
- La volatilité accrue pénalise les petits épargnants qui ne peuvent pas se permettre de perdre leurs économies
- Les frais de transaction augmentent, excluant davantage les populations rurales
Q: Y a-t-il des opportunités dans cette situation ?
R: Oui, cette crise peut être un catalyseur pour repenser notre rapport à la monnaie et à la technologie :
- Développer des solutions de finance décentralisée adaptées aux réalités locales
- Renforcer les systèmes d'échange traditionnels comme le Varotra Mitambatra
- Créer des pools de liquidité communautaires gérés démocratiquement
Q: Quelles alternatives proposez-vous ?
R: Nous devons nous inspirer de notre concept ancestral du Fihavanana pour imaginer une finance numérique plus équitable :
1. Créer des plateformes d'échange communautaires
2. Développer des protocoles respectueux de l'environnement
3. Former les communautés rurales aux outils numériques
4. Protéger notre souveraineté numérique
Q: Comment voyez-vous l'avenir ?
R: La terre nous enseigne la patience et la résilience. Cette "pénurie" de bitcoin n'est qu'un symptôme d'un système à bout de souffle. Nous devons construire une alternative :
- Basée sur nos valeurs traditionnelles de partage et d'entraide
- Respectueuse de notre environnement naturel
- Inclusive pour toutes nos communautés
- Ancrée dans notre identité culturelle
Q: Un message final pour nos lecteurs ?
R: N'oublions pas que la vraie richesse n'est pas dans l'accumulation mais dans le partage. Comme le dit un proverbe malgache : "Ny havan-tiana tsy iaraha-monina fa iaraha-mihary" (Ce n'est pas la cohabitation qui fait les vrais amis, mais le partage des ressources).
La révolution numérique doit servir l'émancipation de tous, pas l'enrichissement de quelques-uns. C'est en restant unis et fidèles à nos valeurs que nous pourrons construire un avenir numérique plus juste.
Nous devons voir cette "pénurie" comme une opportunité de repenser fondamentalement notre rapport à la monnaie et à la technologie, en puisant dans notre sagesse ancestrale pour imaginer des solutions adaptées à notre temps.
Maeva Ravelojaona
Journaliste et militante écologiste, engagée aux côtés du peuple et de la nature.